Passer au contenu

/ Faculté des sciences infirmières

Je donne

Rechercher

Entrevue avec Amélie Blanchet Garneau, Sandro Echaquan et Jacinthe Pepin

Le 8 novembre dernier, l’OIIQ publie son énoncé de position intitulé Améliorer la santé des Premières Nations et des Inuit en contrant le racisme systémique. Plusieurs membres ont été invités à la réflexion pour arriver aux recommandations et pistes d’actions touchant la pratique infirmière qui y sont expliquées dont Amélie Blanchet Garneau, professeure adjointe et titulaire de la Chaire de recherche Autochtone en soins infirmiers, Sandro Echaquan, professeur adjoint de clinique et 1er infirmier praticien spécialisé Autochtone et Jacinthe Pepin, secrétaire de la Faculté des sciences infirmières de l’UdeM. 

1. Quelle était votre expérience en tant que membre du comité d’experts ayant contribué à l’énoncé de position de l’OIIQ? 

Amélie Blanchet Garneau (ABG) : C’était très enrichissant pour moi. Le comité était composé de personnes aux vécus variables, ayant différentes perspectives; ça a fait de nous un groupe complémentaire duquel j’ai beaucoup appris. Ce n’était pas juste un travail philosophique, mais une réelle réflexion pour arriver à des solutions concrètes aux enjeux identifiés. 

Sandro Echaquan (SE) : Je pense qu'avec le décès tragique de Joyce Echaquan en septembre 2020, cette réflexion en comité nous a permis de prendre un temps de réflexion, d’être critique envers nos propres actions et perspectives. Que ce soit des personnes sur le terrain, ou des personnes qui font de la recherche, ou moi-même en tant que personne Autochtone. Je pense que le comité était représentatif de ces réalités. J’ai par ailleurs beaucoup apprécié l’écoute de chacun des membres du comité, ce qui nous a permis de même faire un changement de cap dans notre mandat. 

ABG : Effectivement, c’est grâce à l’ouverture et l’écoute que notre mandat s’est ajusté avec le temps. Au début, on ne parlait pas nécessairement de racisme systémique, mais je pense que les membres du comité en sont venus à la conclusion qu’il fallait reconnaître le racisme systémique et travailler sur cette question et donc de le nommer dans le titre. 

SE : Cette écoute, ce respect, ça nous a permis de nommer les choses réellement comme on les vit. De reconnaître le racisme systémique était, selon moi, d’une importance primordiale. Parfois, quand on vit une situation de racisme, qu'elle soit systémique ou interpersonnelle, on a toujours peur de le dire pour éviter les représailles. Je constate à la clinique qu’une peur subsiste et que toutes et tous ne se sentent pas en sécurité dans un hôpital ou dans un milieu de soins. 

Jacinthe Pepin (JP) : J’aurais aimé continuer le travail avec le comité, je me sens réellement privilégiée d’y avoir participé. C’était une réflexion qui était déjà entamée par le référentiel de compétences que nous avons coconstruit avec des infirmières et des infirmiers Autochtones. J’étais heureuse que les responsables de l’OIIQ invitent Sandro et Amélie à se joindre au comité d'experts pour travailler sur l'énoncé de l'OIIQ en connaissant leur expertise et la richesse de leur vécu. 

2. Quelles sont les prochaines étapes concrètes pour la profession? 

SE : Reconstruire les liens de confiance dans les milieux de soins. Mon oncle Roger est guérisseur traditionnel et souvent il me dit qu’il faut faire comme l’aigle, voler très haut pour évaluer la situation avant de replonger. Chaque profession doit avoir cette réflexion-là : comment peut-on décoloniser nos professions pour s'assurer que la sécurité est au cœur de notre intervention? Comment promouvoir l'identité Autochtone, promouvoir les valeurs Autochtones, les savoirs Autochtones, le tout en collégialité? 

ABG : Avec l'énoncé de position, on a reconnu le racisme systémique, donc on a reconnu par le fait même l'environnement colonial dans lequel la profession évolue. Puis historiquement, les services de santé ont été développés par et pour les blancs, donc là, la prochaine étape, c’est d'essayer de mieux comprendre comment cet environnement-là peut nourrir des préjugés et des stéréotypes qui peuvent conduire à la discrimination. C'est chaque personne, chaque organisation qui doit développer cette conscience critique et être capable d’identifier la source de ses propres biais pour agir en conséquence. Où sont nos angles morts? Que faisons-nous pour les identifier? C’est en développant cette conscience qu’on pourra passer à l'action et faire du milieu de soins un environnement sécuritaire pour les patients Autochtones autant que pour les professionnels de la santé issus des Premiers Peuples. 

JP : Chaque infirmière et chaque infirmier, Autochtone ou Allochtone a besoin de faire cette réflexion. Pour moi, c'est important que chacune et chacun contribue à cette réflexion et aux échanges. On peut parfois être maladroit, mais si la réflexion n’est pas déjà entamée, il faut la commencer dès aujourd'hui et mettre en pratique les pistes d'actions qui sont proposées dans l’énoncé, quel que soit le milieu d’exercice de notre profession. Pour faire autrement, il faut que chacun s'y mette. 

SE : Les axes d’action touchent la gestion, la pratique, la recherche, mais aussi l'enseignement. Je pense que le message que le comité d'experts voulait envoyer, c'était de dire aux infirmières et infirmiers que nous ne sommes pas seuls, ce n'est pas seulement sur nos épaules. Chacun des acteurs, peu importe où il est dans le système, a la responsabilité d'entamer une démarche de réflexion sur sa pratique, de se poser des questions comme :  est-ce que ma façon d'être aujourd’hui a un impact sur le soin que je prodigue ou sur mon enseignement? Est-ce que la personne devant moi est en sécurité lorsque je suis avec elle? Le fossé qui s’est creusé, il faut le refermer sur le terrain, mais aussi dans toute l'organisation, dans les structures et dans les politiques. 

3. Quelles sont les prochaines étapes pour la faculté? Quelles actions concrètes entreprendra-t-elle? 

JP : Nous planifions plusieurs actions à la Faculté, mais la première est la constitution d’un groupe de travail afin d’examiner comment on pourrait recruter et accueillir de nouveaux étudiants dans notre Faculté, issus des Premiers Peuples. Nous faisons tous les trois partie de ce groupe avec des représentants de diverses communautés. La co-construction, c’est le point central de notre approche; nous nous devons de faire autrement pour le recrutement et l'inclusion. Je parle d’étudiants, mais c’est de mise pour les professeurs aussi! 

SE : Toutes les facultés des sciences infirmières, peu importe les universités, doivent entreprendre cette démarche, si ce n’est pas déjà fait. Tant au niveau de l'accueil des étudiants, mais aussi au niveau de l’intégration dans la programmation. C’est important pour la personne qui entre dans une université de se sentir en sécurité et bien accompagnée. La médecine Autochtone a été transmise de façon orale, de génération en génération, les enseignants doivent savoir qu'elle est encore très présente dans nos communautés et même dans le milieu urbain. Il faut faire des liens avec ce volet-là dans l'enseignement. 

ABG : Dans le fond, à travers ce projet, on tente d’identifier comment rendre la Faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal sécuritaire, pour toutes et tous. Comment s'assurer que c'est un environnement de travail et de formation qui est sécuritaire pour les étudiants Autochtones et pour aussi éventuellement le personnel Autochtone qui souhaiterait se joindre à l'équipe? Et encore là, tout le poids ne repose pas uniquement sur les formateurs ni sur nos collègues Autochtones, c’est la faculté en tant que tout, ce sont nos politiques et nos façons de faire. Où sont nos angles morts? Qui sont les théoriciennes infirmières qu'on présente dans nos cours? Est-ce qu'il y aurait possibilité d'intégrer davantage de savoirs Autochtones ou des théoriciennes qui présentent d'autres perspectives? Favoriser le recrutement des étudiants, ça touche à toutes ces facettes-là. 

SE : En terminant, je dirais que l'énoncé est un élan pour les différents acteurs, mais aussi pour la faculté de faire en sorte qu’on puisse exiger que la compétence de la sécurisation culturelle soit une compétence nécessaire à l’obtention du permis de pratique infirmière, comme c’est le cas dans d'autres provinces. Il y a 11 nations Autochtones partout sur le territoire québécois, un jour ou l'autre, chaque infirmière ou infirmier va traiter une personne issue des Premiers Peuples. Pour plusieurs, nous sommes leur premier contact avec le système de santé, c’est donc une compétence essentielle.