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Natalie Stake-Doucet « J’ai toujours été quelqu’un de très politique »

Enfin un peu de stabilité! En poste depuis le 1er juin en tant que professeure adjointe à la faculté des Sciences infirmières de l’Université de Montréal, Natalie Stake-Doucet savoure le fait d’avoir désormais « une place claire ». Une place stratégique également, qui lui donnera l’occasion de poursuivre le combat qu’elle mène depuis qu’elle a mis les pieds dans le réseau de la santé il y a une quinzaine d’années, celui de la reconnaissance du leadership infirmier.

« On est le plus gros groupe professionnel en santé, indique-t-elle. Or, on est largement absentes à la table des discussions. Pourtant les décisions prises pour améliorer le système de santé sans l’avis du corps infirmier ne peuvent pas être de bonnes décisions. Ou alors, ça l’est par accident! »

Mme Stake-Doucet considère en effet que les infirmières ont une perspective unique qui leur donne une vision globale du patient à travers son cheminement dans le réseau de la santé.

« On est au courant de ce que le physio a fait, de ce que tel spécialiste a fait, on sait si le patient voit un travailleur social, raconte-t-elle. On est un nœud important. Je nous considère un peu comme des « MC ». Or, on ne nous reconnaît pas ce rôle. On entend toujours parler de la crise dans le réseau de la santé, mais il serait plus juste de parler de crise infirmière. »

Elle explique ainsi qu’il n’y a jamais eu autant de professionnelles inscrites à l’Ordre, mais qu’il y a pénurie dans le réseau. Pourquoi ? Parce que les conditions sont telles qu’elles tombent en maladie ou qu’elles quittent la profession. 

« Comme les infirmières sont en sous-effectifs, les conditions de travail de tous les autres professionnels se dégradent aussi, explique-t-elle. Amenons les infirmières à la table des discussions, écoutons-les, c’est le réseau dans son ensemble qui pourrait se rétablir. »

Leader informelle de la résistance 

Mme Stake-Doucet est intarissable lorsqu’il s’agit de défendre sa profession. Elle a d’ailleurs déjà fait plusieurs apparitions dans les médias pour dénoncer les conditions d’exercice et revendiquer le droit d’en parler sans crainte de représailles.

« J’étais en maîtrise pour devenir Infirmière praticienne spécialisée (IPS) au moment de la réforme Barrette, indique-t-elle. Il y avait beaucoup de détresse, on voyait bien que les répercussions allaient être énormes. À l’Université, nous avons constitué un petit groupe pour faire entendre notre voix. Dès lors, je suis devenue une espèce de leader informelle de la résistance à la réforme. »

Une implication politique qui l’a amenée à rencontrer Damien Contandriopoulos, professeur titulaire à l’école des sciences infirmières de l’Université de Montréal et expert incontournable en matière de politiques publiques de santé. Il deviendra quelques mois plus tard son codirecteur de thèse au même titre que Jacinthe Pepin, spécialiste des questions philosophiques et disciplinaires en sciences infirmières.

« J’ai été choyée avec ma direction, lance Natalie Stake-Doucet. Ils m’ont encouragé à me poser des questions, à m’intéresser à l’histoire de ma profession afin de comprendre d’où vient cette idée que l’infirmière doit être effacée, stoïque, serviable, intelligente, oui, mais toujours au service de quelqu’un d’autre. Presqu’une sainte. »

Rôle social extraordinaire

Un rôle que beaucoup d’infirmières perpétuent sans le remettre en question, remarque-t-elle. Elle raconte notamment que durant la pandémie, alors qu’elle était retournée sur le terrain, en poste dans un CHSLD ayant subi de lourdes pertes, des infirmières en charge de répartir les équipements de protection ont commencé à distribuer des N95 à toutes les unités seulement quand des médecins spécialistes se sont joints à l’équipe. Avant cela, si une infirmière ou préposée en demandait, elle se les voyait trop souvent refuser.

« Depuis l’ère victorienne, il y a cette hiérarchisation entre le rôle du médecin et celui de l’infirmière. Celle-ci est intégrée dans l’imaginaire social, mais aussi par les infirmières elles-mêmes, regrette Mme Stake-Doucet. Le réseau de la santé continue à socialiser les infirmières dans des relations hiérarchiques qui ne sont bénéfiques pour personne. » 

Ainsi, quels que soient les cours qu’on lui confiera à l’avenir, la professeure sait qu’elle ne pourra s’empêcher d’amener ses futures étudiantes sur le terrain politique.

« Je veux qu’elles aient conscience de l’énorme valeur qu’elles apportent au réseau de la santé, conclut-elle. Nous avons un rôle social extraordinaire à jouer. Nous l’avons fait dans l’histoire, durant les périodes de guerre, mais aussi plus proche de nous, aux États-Unis, avec le mouvement Black Lives Matter ou encore dans le mouvement pour la justice reproductive. J’espère inspirer la relève avec ce leadership politique infirmier, leur inculquer l’importance du rôle sociopolitique des infirmières. » 

Rédaction : Hélène Roulot-Ganzmann